Vous avez un projet ? Nous avons une épée !

"Rhaaaa!" l'agacement de Benjamin résonne dans toute l'armurerie, vide pour le moment, suivi d'un bruit de métal qui résonne contre un autre. Il est agacé, l'armurier, et s'agace de l'être : plus il perd le contrôle de ses nerfs, moins il arrive à concentrer sa magie sur l'objet devant lui. Il y travaille depuis le matin, peut-être devrait-il faire une pause ? De toute façon, s'il continue comme ça, il n'arrivera à rien : la théorie, c'est bien beau, mais visiblement, la pratique a du mal à suivre. Ce n'est pourtant pas une épée flamboyante, qu'il demande, juste... quelques mots. En lettres de feu. Au-dessus d'un cadavre. Ce n'est pas le lac à boire, tout de même !

Le vrai souci, c'est bien qu'il existe déjà un enchantement sur l'épée, et qu'il n'arrive pas à conjuguer les deux. Il est sûr que c'est possible, pourtant : il l'a déjà vu fonctionner, c'est donc que cela doit marcher, d'une façon ou d'une autre ! Reste à trouver la façon de faire, quoi, et visiblement il ne l'a pas encore trouvé. Et que cela l'énerve, par les Dieux, d'être tenu en échec. "Cheh..." a-t-il soudain l'impression d'entendre, et Benjamin grogne une insulte bien sentie. Ca ne sert à rien, mais ça fait du bien !

Benjamin se replonge dans ses notes quand la clochette installée non-loin de l'entrée de l'armurerie tintinnabule joyeusement, interrompant ses réflexions. Avec mauvaise humeur, sans même lever le nez, il grommelle à l'intention du nouvel arrivant : " Non, la propriétaire n'est pas là et oui, il n'y a que m..." Il a levé les yeux, tout de même, et s'interrompt brusquement en constatant qui se trouve devant lui : certainement pas quelqu'un qui va lui reprocher d'être un homme et de ne pas avoir sa place ici. "Désolé." Il se montre plus aimable, en général, mais cet enchantement qui échappe à son contrôle l'énerve bien plus qu'il ne le devrait. "Comment puis-je vous aider, messire ?" Il se fait bien plus affable Benjamin, reposant ses feuillets et observant le nouveau venu. L'ambassadeur de la Compagnie de Diamant, rien que ça. Pour que l'homme se déplace, il doit forcément y avoir un contrat intéressant à la clé, et il ne sera pas dit que Benjamin a perdu de l'argent parce qu'il ne sait pas se montrer aimable.

Il a déjà travaillé pour les mercenaires, ce ne sera pas la première fois, et il sait qu'ils ont été satisfait de son travail. Il s'est taillé une solide réputation Benji, depuis qu'il gère l'armurerie pour Lucie, mais son statut d'homme en Aiguemarine le dessert beaucoup, il le sait. Alors quelques sous en plus, clairement, il ne dit pas non : il a confiance en son potentiel, il sait que ses armes sont les meilleurs de la ville, peut-être -non, certainement même- les meilleures de la Princée et il peut certainement tirer bénéfice d'une collaboration avec Armel.

Voilà quinze jours que le chapitre de Diamant est stationnée en Saphir, selon les ordres de leur dernier commanditaire. Une bonne semaine reste avant qu’ils ne prennent, en petits groupes, la direction des monts d’Obsidienne en Rubis : leur présence sur les terres de la princée matriarcale, sous le lac, touche à sa fin et Armel est plus qu’heureux de reprendre bientôt la route. Ancien noble oisif il a désormais la poussière dans la voix et la route dans le coeur. Comment résister au besoin violent de courir le monde quand rien d’intéressant ne vous attend à un arrêt, pas vrai ? Tout est dans le déplacement et le changement perpétuel. Les visages et les contrats défilent, les noms restent à peine – empreints de la sérénité fausse qu’ils ne seront pas oubliés.

Une semaine de libre avant de rejoindre Rubis, donc, et de s’imposer à un inventaire rigoureux de leurs biens et de leurs amiEs. Passer en revue leurs troupes et leurs possessions, effectuer les changements en présence du Chef de la Compagnie : l’aventure dans laquelle ils vont se lancer risque d’être autant grandiose que terrifiante. Armel n’en a pas encore informé les membres de son Chapitre, simples mercenaires. Seul son chef est au courant pour l’heure – car après tout, c’est lui qui a accepté la mission relayée par l’ambassadeur.
Mais avant tout ça ils auront besoin d’armes. Plus qu’ils n’en ont jamais eu, meilleures que celles qu’ils manient aujourd’hui. (Plus robustes, aussi, que la coquette lame qu’il a faite forger sur un coup de tête en quittant l’Iridescence . Ah ! Comme il était alors persuadé que les dorures valaient mieux que le tranchant de la lame ! Quel imbécile il a été. Est toujours. Juste différemment. )

Vêtu d’une tenue de citadin lambda de Saphir plus que délicate, dans les tons d’eau et lacée de noire – il est allé se fournir chez Evariste qui l’a presque bien conseillé – et avec un chapeau à plume du plus magnifique effet, l’ambassadeur des mercenaires pousse la porte d’une armurerie bien connue des mercenaires de son chapitre. Pour cause ! Ils lui servent plus ou moins régulièrement de garde du corps. Si l’Ambassadeur n’est pas suffisamment péquenaud pour les accompagner – faut pas déconner, c’est qu’un armurier –, il le connaît tout de même de visu. « Il n’y a pas de mal, mon bon monsieur ! » répond Armel en riant, accompagnant ses paroles d’un geste de la main.

Ses talons claquent sur le sol lorsqu’il marche. Coquet comme il est, ils sont renforcés d’un charme qui les rend pailletés. L’homme se décoiffe, manquant de foutre un coup de plume dans son nouvel interlocuteur. « Je me présente. Armel, ambassadeur de la Compagnie de Diamant, du chapitre de Diamant. Vous n’avez pas besoin de savoir ce que ça veut dire, ajoute-t-il avec un sourire innocent et un air de malice au fond des yeux, comme tout bon titre, ça se doit d’être à moitié compréhensible. Retenez juste que je suis ici pour eux. »
Son regard se promène sur la boutique : proprette, plutôt bien tenue, il sait sa renommée et le travail de bonne qualité… Ce que, bien sûr, il ne révèlera qu’avec parcimonie, ne voulant pas donner une impression trop désespérée. Il existe des centaines d’armuriers qui pourraient les fournir. (Mais celles de Longueflamme ont ce charme bien particulier. )
« Nous aurions besoin de vos services. En fait, nous aurions même besoin de vous accaparer pour un bon bout de temps. » explique, toujours aussi joueur, Armel, daignant enfin retourner son regard sur l’autre homme de la boutique.

L'homme est élégant, affable et, Benjamin en mettrait sa tête à couper, bien-né. Il sait les reconnaître, ceux élevés dans les dorures : ils ont toujours un petit quelque chose d'indéfinissable, un je-ne-sais-quoi qui met le doute. Les gueux se reconnaissent entre eux, suppose Benjamin, et repèrent ceux qui n'en sont pas. De toute façon, clairement, ce n'est pas la naissance et le beau phrasé de l'homme qui l'intéressent, mais bien l'argent qu'il pourra tirer de cette rencontre. Le titre est pompeux, mais c'est bien les intentions de l'homme qui, définitivement, éveillent son attention. C'est même plus intéressant que ce qu'il aurait pensé au premier abord, en vérité. Un dernier regard sur ses notes et Benjamin écarte les bras, le sourire aux lèvres. "Je suis tout à vous."

Il sait additionner deux et deux l'armurier, et sait pertinemment tout le bien qu'il peut tirer d'un contrat avec la Compagnie de Diamant, sans parler de répandre sa renommée un peu partout. Il serait bien stupide de dire non ! "Dites-moi ce dont vous avez besoin, et je vous le fournirez. " Il a toute latitude pour accepter les contrats au nom de Lucie et cette collaboration ne peut que faire plaisir aux deux parties. "J'ai déjà équipé certains de vos mercenaires..." C'est comme ça qu'on dit ? Est-ce que, réellement, ce sont les mercenaires d'Armel ? Il n'en est pas véritablement sûr Benjamin, mais il ne va pas se laisser décontenancer pour une question de lexique. "... mais je ne me rappelle pas avoir eu l'honneur de vous vendre l'une de mes créations." Il ne se rappelle pas de tous ses clients, certes.

Il examine rapidement l'homme devant lui, aux vêtements bien coupés, au chapeau muni d'une plume qui a failli l'éborgner, et il songe rapidement que l'homme attache autant d'importance à l'apparence qu'à la praticité, ou à l'efficacité d'une bonne lame. Cela peut n'être qu'une apparence, Benjamin en est conscient mais qui n'essaye rien n'a rien, après tout. "Si vous voulez Messire Armel, je peux vous montrer les plus... disons, flamboyants de mes prototypes, pour que vous puissiez vous faire une idée de la qualité que je propose." Il a entièrement confiance en ses capacités Benjamin, et en la qualité de ses armes. Les présenter à Armel ne fera que davantage pencher la balance en sa faveur et réellement, si l'homme s'est déplacé, c'est bien que Benjamin a déjà quelques points d'avance non ?

L’Ambassadeur sait ce qu’il fiche ici, et sait, surtout, qui l’attend dehors – et ce qui l’attend dehors. Le combat et la violence qui pavent la route de la Compagnie résonne dans chacun de ses pas et dans chaque instant qu’il vit loin des chemins, loin des missions. L’Ambassadeur d’une troupe de rustres et d’honnêtes truands qui brise trop aisément ses épées : si le brun de Nacre est là en ce jour, c’est bien pour une raison. Cette raison étant que leur puissance se retrouve malheureusement… Mise à mal par la brutalité de certaines des nouvelles recrues. On peut fendre des crânes sans fendre la hache avec, voyez-vous.
Et pour ce qui attend le chapitre, il leur faut des armes à ne plus savoir qu’en faire. Coutelas, épées, sabres, couteaux de lancer voire à beurre si c’est tout ce qu’il reste ! Armés jusqu’aux dents, ils marcheront confiants vers leur prochaine mission, prêts à être auréolés d’une gloire éternelle. (S’ils réussissent. Ce dont Armel ne doute pas. )

« Non, je ne suis pas réellement homme d’armes. Répond le noble qui joue aux brigands tout en rajustant les manches impeccables de son habit – si l’on exclut la petite tâche là, confiture ou sang, dans le coin droit. D’autres au sein de l’organisation auront bien plus besoin de vos services que moi. Je me contenterai d’une arme somme toute quelconque... » Oh la barbe, il ne peut pas arrêter un moment de parler de manière aussi alambiquée, juste pour deux secondes ! Il a l’impression d’avoir la noblesse qui ressort et qu’il vomit tout ce qu’on lui a forcé dans le crâne jusqu’ici.
« Je m’bats plus avec les mots, continue le brun plus prudemment en se retenant d’en faire une phrase à rallonge trop sinueuse. La paraphrase, son plus grand ennemi. Pas que je n’ai pas l’expérience des armes, mais parmi les gens moins raffinés de nos rangs je tends à éviter de me promener. »

Ah bah de mieux en mieux. Avec un soupir et un sourire presque faussement forcé, Armel invite le commerçant d’un geste de la main. « Je suis un peu fatigué, les mots s’emmêlent. Montrez-moi ! Je saurais être juge. Je pense. Oh, vous avez une épée qui brûle, par hasard ? Ca serait très classe… Je veux dire, se ravise l’homme, pour la postérité et le crédit de la Compagnie, ce serait un fabuleux atout. »
Il la gardera juste pour lui.

Le petit lutin affreux qu’il est sautillerait presque de joie d’être amené si proche des armes, lui qui a de moins en moins le droit d’y toucher ! Il ne porte plus autant l’épée qu’auparavant, et son talent est bien moindre comparé à celui de nombre de ses camarades. N’empêche qu’une épée brûlante serait fantastique. Armel à l’épée enflammées terrassant l’Empire. Un titre qui en jette, non ?

Il parle bien, cet élégant homme, maniant les mots avec une adresse que Benjamin lui envierait presque. Il ne s'est pas trompé, il le sait : l'homme est noble, du bout de ses ongles jusqu'à la pointe de ses chaussures pailletées. Qui dit noble, dit argent, mais aussi souvent panache et envie d'attirer l'attention. Un gros contrat, c'est ce que lui promet Armel, et l'armurier est bien décidé à ne pas le laisser mettre un pied en dehors de son échoppe sans ce gros contrat, justement. Mais pour cela, il faut sans doute déjà décrocher le cœur de l'homme, avec une de ses plus magnifique - et flamboyante, donc - création, malgré les dires de ce dernier. Allons donc, un homme avec un tel chapeau ne peut décemment pas se contenter de quelque chose de quelconque !

Armel finit par l'inviter à lui montrer, à le surprendre, et Benjamin ne se fait pas prier en entraînant l'homme vers l'arrière-boutique. C'est plus fouilli, assurément, que les étagères ordonnées de l'armurerie, mais c'est une pièce chaleureuse et, surtout, pleine de promesses. "Je pense avoir exactement ce qu'il faut à un homme de votre stature, messire." L'homme n'a sans doute rien contre quelques flatteries. "Mes armes sont les meilleures, et le prestige de la compagnie ne peut qu'en être amélioré." Benjamin n'est pas du genre à s'encombrer de modestie : il sait ce qu'il vaut, après tout. Les deux hommes passent à côté de l'arme sur laquelle Benjamin travaillait jusqu'à présent, et une voix caverneuse résonne soudain. Ah ! Mort, tu es !

L'armurier laisse échapper un grognement avant d'expliquer. "C'est encore un prototype, malheureusement, mais je ne doute pas d'en maîtriser le processus d'ici quelques jours." Ou semaines, franchement, il en a bien peur. Il se dirige vers un établi Benjamin, empoignant une épée par la lame pour la présenter à Armel par la garde. Une garde travaillée, aux reflets orangés qui scintillent doucement dans la semi-pénombre. Il attend, sagement, qu'Armel s'en saisisse et que la magie fasse effet, que la lame rougeoie comme plongée dans un infernal brasier, que les flammèches dansent à sa surface.

Et pourtant, ce n'est pas l'arme la plus flamboyante qu'il ait. Que dire de cette masse d'arme dont chaque déplacement est suivi d'une traînée de feu ? De cette hache où les mots apparaissent sur la lame ? Merci à son compère brume, pour celle-ci, c'est seulement une illusion. "Elle ne chauffe pas vraiment." Assure Benjamin à Armel, désignant l'épée parcourue de petites flammes. "D'autres sont bien plus dangereuses, mais il leur faut un bretteur capable." Il laisse ses mots résonner Benjamin, avant de reprendre. "Maîtriser une véritable gerbe de feu n'est pas donnée à tout le monde. Voulez-vous essayer ?" Propose l'armurier. Oh, il s'en doute, bien peu de personne résistent à l'idée de manipuler une véritable épée enflammée, et d'ainsi mesurer leurs capacités. Armel lui a dit ne pas être un homme d'armes, mais avoir tout de même l'expérience. "C'est une épée unique, pour un bretteur d'exception. L'assurance d'avoir son nom inscrit dans l'esprit de ceux qui la verront." Son prix, aussi, est unique. Mais c'est certainement un détail, pour Armel, n'est-ce pas ?