Retrouvons-nous sur le chemin

Toutes les rumeurs, toutes les suppositions courraient sur cet anniversaire mais une chose est sûre, il promet d'être grandiose, ne serait-ce que pour prouver aux citoyens de l'Empire à quel point Déjanire reste quelqu'un de puissant, et de généreux. Évidemment, cela promettait d'être splendide, c'était probablement l’événement à ne pas manquer de l'année, voir des prochaines, et il n'est pas question que Benjamin loupe une telle opportunité, ne serait-ce pour les clients potentiels qu'un tel rassemblement. Sans oublier tout le reste !

Il a déjà envoyé de la marchandise l'armurier, à travers l'Arche, via des porteurs grassement payés. Il n'est encombré, lui, que d'une malle légère, quelques effets personnels, et rien d'autre. Tout ce dont il a besoin se trouve déjà sur place, il n'a pas besoin de porter encore davantage de choses. Un peu par hasard, il est tombé sur un mercenaire de la compagnie de Madeline quelques semaines plus tôt et lui a fait parvenir un message, l'invitant, si elle le souhaite, à le rejoindre pour se rendre ensemble à l'anniversaire de leur impératrice. Il n'est pas trop sûr qu'elle aura le message, ni même si elle sera d'accord. Il n'est même pas, à vrai dire, réellement sûr de la raison qui l'a poussé à envoyer cette invitation en premier lieu. Peut-être que Madeline lui manque. Peut-être qu'avoir dans ses contacts quelqu'un de la  Compagnie, en ces temps de guerre - et d'affaires, autant ne pas le nier - représente un avantage certain. Peut-être qu'il a envie de compagnie, tout simplement.

Il n'a pas creusé très loin sur les raisons de voir Madeline, l'armurier, même s'il est heureux de la revoir. Ils se sont bien apprécié, avant. A petite dose. Disons qu'elle lui tape vite sur les nerfs, avec ses airs prétentieux, son narcissisme et sa trop grande franchise. Oh, elle a des qualités, des tas, mais il ne lui a jamais dit, pour ne pas alimenter ses défauts. C'est lui rendre service, en vérité, que de ne pas lui faire de compliments. Et puis, il se souvient qu'elle est bavarde, aussi, et c'est exactement ce qu'il lui faut pour lui tenir compagnie, et prendre des nouvelles du front. Et, peut-être, vendre quelques armes qui pourront, à terme, lui amener d'autres clients. Il se fiche bien du camp qui utilise son travail, Benjamin, du moment que cela lui amène des clients et non des problèmes. Mais ce n'est pas de sa faute, tout de même, si les gens qui utilisent ses créations décident de se trouver dans le mauvais camp ! Après coup, évidemment : au moment de la vente, il n'en savait rien après tout. Sûrement pas.

Il est pile à l'heure l'armurier, au point de rendez-vous qu'il a donné à la mercenaire. Il aime bien la ponctualité Benjamain, en général. Il a lu un jour que le retard est l'apanage des riches, et que les pauvres n'ont pour eux que cette qualité de savoir être à l'heure. Quelque chose du genre, en tout cas, il ne se souvient pas bien de la citation exacte. Machinalement, en attendant, la main de l'armurier trace de ses doigts la fine garde de l'épée qu'il porte à ses côtés, prototype numéro trois, les deux précédents étant responsables des brûlures entourées de bandages qui pointent sous la manche de sa chemise. Il fait bon, à cette époque de l'année et si c'est agréable, ce n'est pas super pratique pour dissimuler des accidents de conception d'armes. Etre Flamme, ça a ses bons côtés, mais les erreurs sont plus douloureuses que lorsqu'on est Brume. Il suppose. Peut-être. Échouer dans un enchantement rend-t-il fou ? Ce n'est pas une question à poser, sans doute. Il faudra qu'il réfléchisse à comment le faire quand même, il est bien trop curieux pour son propre bien !

Joie ! Fête ! Enthousiasme !
Voilà tout l’apanage de ce que j’ai ressenti lorsque j’ai appris que l’Impératrice, à travers ses hôtes De Demain, conviait l’intégralité de ses sujets pour son anniversaire. J’espère tout de même que la totalité ne viendra pas, ça ferait beaucoup de monde à Tourmaline. Et moins de chance d’apercevoir la belle Déjanire. Et c’est ça mon but avoué, j’espère sincèrement la rencontrer, lui dire à quel point je lui suis fidèle et attachée. Une pique au fond de moi me rappelle que je ne pourrais jamais vraiment lui jurer allégeance, ma priorité est la Compagnie. Et actuellement les directives sont plutôt floues, pas de mission, pas d’obligation.
Alors qu’on est coincé en Aiguemarine à ne rien faire, à attendre que les choses se décide en haut lieu, cette opportunité est à double bénéfice. Je pourrais rencontrer la belle et également cesser de m’amollir dans cette attente interminable. J’ai tenté de recruter des acolytes pour ce voyage, mais force est de constater que mes camarades du Chapitre n’ont pas le même engouement pour l’Impératrice si ce n’est dans leurs grivoiseries.
La lettre de Benjamin est donc tombée à point nommé. Le voyage sera long et ce sera bien de ne pas le faire seule. D’autant que revoir Benjamin me fera extrêmement plaisir. A l’université, armées de nos amourettes d’adolescentes pour les garçons plus vieux que nous, j’avais été séduite par ce charmant aiguemarin aux si douces manières. Presque 10 ans après, je peux bien l’avouer, mais sûrement pas à lui, même si tout ça est bien loin derrière nous… Depuis cette époque nous avons entretenu une correspondance clairsemée : une lettre par ci par là pour se donner juste ce qu’il faut de nouvelles. Je sais donc que ses affaires sont prospères et je me réjouis sincèrement pour lui.

Le jour dit, fin prête je me met en route vers l’Arche où Benjamin m’a donné rendez-vous. Je constate qu’il est déjà arrivé et visiblement perdu dans ses pensées. Le revoir, me plonge brutalement en arrière lorsque je rêvais encore d’accomplir de grandes choses grâce à ma magie. Mais aussi vers ses belles années d’apprentissages et de découvertes à Opale. Repenser au passé me rend toujours un peu mélancolique. C’est un sentiment qui ne me sied pas et qui risque d’un peu trop me gagner pendant ce voyage si je me laisse aller. Je secoue la tête pour chasser ces pensées et reprendre contenance. J’ajuste une dernière fois mon collier sous mes vêtements, vérifiant dans un geste devenu rituel qu’il n’est pas visible. Puis plaquant un grand sourire sincère sur mon visage, je dévale la pente au galop jusqu’à lui :
« Mais tu es tout seul ? Je m’attendais à te voir entouré de toute une troupe d’employés dévoués s’occupant d’acheminer ton arsenal ! Aurais-tu décidé de ne rien vendre et de simplement profiter de la fête ? »
Arrivée à sa hauteur, j’ajoute d’un ton blagueur :
« Mais dis moi, les affaires fonctionnent bien ! Inutile de nier, tes vêtement parlent pour toi… En revanche on se rend dans le désert, la tenue aux manches longues n’est peut être pas des plus adaptée, non ? »

L'attente ne lui convient pas très bien, à l'armurier. En apparence, il a l'air calme, mais si l'on n'y regarde bien, il n'arrête en réalité pas de s'agiter. Tantôt les mains, tantôt quelques pas, Benjamin est rarement capable de rester immobile quand son cerveau n'est pas entièrement concentré sur une tâche quelconque. Ses doigts tracent le contour de la garde de l'épée qu'il porte au côté, ce cadeau d'anniversaire que Déjanire n'aura jamais, et c'est plongé dans ses pensées que la voix de Madeline le surprend. Il se secoue mentalement Benjamin, et un sourire étire ses lèvres alors qu'il accueille la jeune femme. Son éclat de rire salue les paroles de la nouvelle arrivante : il n'a jamais été du genre modeste, et il est vrai que ses affaires fonctionnent bien. La guerre, dont Madeline est l'un des participants, est une magnifique opportunité lorsqu'on exerce un métier comme le sien.

Écartant les bras, Benjamin fait un tour sur lui-même, exposant à la vue de tous les broderies délicates de sa chemise verte, qui fait ressortir la couleur de ses yeux. Évidemment, qu'il s'est bien habillé, il s'agit tout de même de faire forte impression en cette occasion ! Il s'explique tout de même, après avoir fini de se faire admirer. "Non, le plus gros de mes affaires est parti plus tôt, un ami s'occupe de tout installer avant ma venue. Je ne transporte que le plus précieux." Le plus cher, mais surtout ses créations fétiches, celles qu'il vend à prix d'or mais sur lesquelles il a également longtemps travaillé. Il a suivi les conseils d'Évariste, donnés il y a de longs mois : chacune de ses pièces porte un nom unique et grandiloquent, et cela marche réellement bien.

Et puis, il n'est pas un noble Benjamin, pas l'un de ceux qui n'arrivent même pas à s'habiller tout seul, et savent encore moins se servir de leurs dix doigts. Ses affaires ont beau être florissantes, comme le souligne Madeline, il ne rechigne pourtant pas à mettre la main à la pâte quand il s'agit de transporter ses créations. La remarque de la jeune femme sur ses manches longues lui font baisser les yeux, et il soupire. "Ah, ça... Oui. Ce sont les risques du métier, si l'on peut dire." Explique-t-il avant de relever à demi le vêtement pour lui montrer le bandage qui remonte presque jusqu'à son coude. "Jouer avec le feu n'est pas sans risque." Ajoute-t-il sobrement. Il ne résiste pas longtemps pourtant avant de sortir la lame qu'il porte à son côté et de la montrer à la jeune femme, la lame bien à plat sur ses deux mains. "Mais ça en valait la peine."

Il ne résiste pas à l'idée de s'attirer des compliments, et à faire admirer son travail. Il est fier de ses créations Benjamin, et puis Madeline peut certainement attirer ses compagnons dans sa clientèle, n'est-ce pas ? Ce n'est pas juste pour être admiré - même si cela tiens une grande place dans sa démonstration. En toute modestie - ou non -l'arme est d'une facture magnifique, et le travail sur la garde a nécessité de longues heures de travail, il est facile de le dire. "Et toi ?" Demande Benjamin, la laissant admirer son travail. "On a accepté de te laisser partir ?" Il ne sait pas exactement comment les mercenaires de la Compagnie fonctionnent, mais il ne va pas se plaindre de la présence de la jeune femme.