Les petits oiseaux du castel princier avaient chanté tôt depuis le matin, ce jour-là. Un papier de la main de l'Impératrice. Un papier porteur de secrets. Un papier scellé de ses armes. Pour le prince Hector. Comme un vent de fraîcheur, tout au long des couloirs de ce château de Tourmaline. On la disait conquise, la douce Déjanire. On racontait des regards enamourés échangés - totalement inventés - entre le prince et sa souveraine. Des murmures entre les gens de la domesticité qui, fort heureusement, n'avaient point rejoint les oreilles de la princesse de Nacre. Pour le moment.

Plutôt qu’un rendez-vous galant, Déjanire espérait une leçon improvisée sur une parcelle de ses sujets. ...S’il était possible de les nommer ainsi. Ceux que l’histoire avait considérés comme rebuts, rejets. Les Argiles si suspects. Elle entendait encore les murmures épouvantés de ses conseillers, lorsqu’était le temps d’en discuter. Votre Majesté, ils refusent la magie, ils refusent votre Empire. Refusez-les à votre tour, ne serait-ce que par respect de la tradition. Et n’oubliez pas les maladies… Des rumeurs empruntant les allures d’histoires, puis de légendes. Ces Argiles répugnants qui s’en prenaient aux enfants de l’Empire, les enlevant pour les contaminer de leurs troubles, de leurs malédictions. Peu avant le soulèvement d’octobre, ils avaient même abordé la possibilité de réinstaurer cette tradition de jadis, de ramener ces sous-personnes à leur rang véritable. Des esclaves. Après tout, Votre Majesté, ne seraient-ils pas plus utiles à servir vos réels sujets qu’en parasitant Carat? Elle avait hésité à accepter, Déjanire, entre la peur de ces histoires cauchemardesques et le verbe agile de ses conseillers. Mais désormais qu’elle logeait au castel de Tourmaline, désormais qu’elle régnait sans son conseil restreint, désormais que le palais impérial se dressait sur les steppes ardentes d’un désert logeant l’unique communauté tolérée des Argiles… Il lui semblait que ses doutes sonnaient faux. Il lui semblait même, parfois, ressentir une pointe de honte, un sentiment amer, à l’idée d’avoir pu songer à réinstaurer cette tradition désuète.

De ce trouble, elle n’en avait rien dit, l’Impératrice, secrète dans ses humeurs comme dans ses tourments. Seulement une lettre discrète - si discrète qu’elle en avait nourri une rumeur de romance - pour le prince Hector. Un rendez-vous peu après midi afin de l’encourager à se confier sur ses intentions, lorsqu’il avait fait le choix conscient de tolérer ce rassemblement en dépit des règlements de l’Empire.

- Votre Majesté, le Prince Hector de Demain.

Elle n’avait pu s’empêcher de sourire en le voyant entrer dans ses appartements, les vêtements colorés, l’attitude si… hectorienne. Son prince préféré, qu’elle ne pouvait s’empêcher de songer. La cohabitation aurait pu être difficile, mais il n’en avait rien été. Chacun en retenu, pour ne pas effrayer l’autre. Mais les masques tombaient peu à peu. Les petits travers enfin dévoilés démontraient à Déjanire un prince imparfait mais particulièrement attachant. Loin de ce qu’elle avait pu voir lors des rencontres diplomatiques. Elle comprenait Jézabel d’en parler avec autant de passion. Mais était-ce étonnant..? N’était-il pas le frère ainé de son ami de longue date, de son sujet le plus dévoué?

- Je vous remercie de vous libérer pour cette rencontre. Et… Nul conseil aujourd’hui. Vous pouvez prendre place; les domestiques m’ont affirmé qu’il s’agissait de vos pâtisseries favorites.

D’un geste gracieux de la main, une invitation qui ne se refusait pas vraiment. Fauteuils et méridienne n’attendaient que l’invité tandis qu’un thé fumant parfumait la vaste pièce. Des coussins ici et là aux couleurs vibrantes. Hector pouvait se féliciter, sa souveraine baignait dans un confort depuis son arrivée, quelques mois plus tôt. Alors elle avait pris soin de lui rendre la politesse en l’accueillant avec les odeurs de son thé préféré, de ses sucreries favorites.

- Avant tout…

Comment lui dire..? Comment l’inviter à respecter le silence sans l’offusquer, lui-même prince des terres du même nom? Comment lui demander de taire sa méconnaissance, qu’on ne la découvre pas si peu habile à connaître son propre peuple?

- Sachez que je garderai pour moi seule vos paroles, de cette conversation. Parlez sans crainte, et je ferai de même...

Elle s’était posée sur l’un des fauteuils sous une posture bien sage, encore. Un brin mystérieuse, sans doute. Comme si l’acceptation du prince de Topaze pouvait la rendre plus à l’aise, plus détendue, et que d’ici là, seule la bienséance comptait tout à fait.